(Photo Audrey Chapot – Cap Vert, Santo Antao)

Les échappées ont du bon, elles permettent de s’extirper du bain quotidien. Les retours, quant à eux, nous plongent parfois en situation de choc plus ou moins sévère.

C’est ce que j’ai vécu cet été, avec un départ de dernière minute au Cap Vert, un test PCR négatif en poche, en déconnexion numérique totale et (très) loin des affluences touristiques. Partie début juillet, mon retour 3 semaines plus tard me plonge dans un savant brouillage émotionnel et intellectuel entre ce que je vis et ce qui se passe autour de moi, à grande échelle. Stupéfaite, je découvre qu’il est possible de vivre un choc culturel dans son propre pays en moins d’un mois !

Que s’est-il passé ? Où en sommes-nous aujourd’hui de cet effet-Covid ? Qu’est-ce que cela dit de la mutation anthropologique que j’explique depuis des années ? Comment ai-je l’intention de continuer d’agir (individuellement et professionnellement) ? Pour défendre quoi ? Me manque-t-il des informations pour me positionner ?

Ces questionnements sont récurrents. Depuis mon retour de voyage, je les ai à nouveau posés sur la table, et disséqués à la lumière des nouveaux événements faisant suite à l’allocution présidentielle du 12 juillet.

Mon intention n’est pas ici de présenter mon point de vue personnel, ni de donner de conseil.

Ce qui m’importe, en tant qu’anthropologue, est de sortir du panier de crabes informationnel pour prendre un peu de hauteur sur la situation, identifier quelques méandres dans lesquels nous sommes enlisés, poser certains constats et inciter à un questionnement recadré sur des fondations.

Le sujet et la situation mériteraient d’être abordés sous de nombreux angles complémentaires et plus en détail ; j’en choisis quatre exprimés de manière relativement succincte. Je me restreins à la perspective franco-française, sauf pour le dernier point.

1. Le manque actuel d’échanges consistants

Nous sommes dans une société qui aujourd’hui (et depuis une vingtaine d’années) ne sait plus débattre. Sur les sujets sociétaux et politiques, les discussions sont d’une pauvreté affligeante, avec des postures de communication immatures, où chacun cherche un peu plus de projecteur ou de temps de parole que son voisin. Inutile alors de croire que les media traditionnels, les politiques ou les intellectuels vont nous aider, nous citoyens, à accéder à l’information contradictoire, complète, transparente, ou à quelque questionnement posé que ce soit. Je l’espère, je l’attends toujours.

Les conflits d’intérêts économiques ou mondains dominent le marché. L’effet-covid révèle d’ailleurs que notre société actuelle ne compte plus d’authentiques intellectuels ou penseurs médiatisés : ils n’en portent que la cape. (A titre personnel en France, je n’en compte qu’à peine une poignée encore vivants.)

Pour pallier cette élite fantoche, quelques médias alternatifs et la société civile se réveillent. Certes, les youtubeurs et les réseaux sociaux drainent « de tout », et en grande quantité : des informations, des points de vue, des attaques, des manipulations par fakenews. Certes, cela nécessite de trier, de chercher, de vérifier, de sonder ce qui convient à chacun. Mais ces interventions ne font que pallier la lacune des institutions officielles et intellectuelles !

Même si certains craignent pour leur pré carré et crient parfois aux « experts autoproclamés », c’est bien dans cette population, médiatiquement (encore) transparente, que l’on trouve aujourd’hui de la substance pour échanger, croiser les informations et penser. Bref, exercer son discernement.

Quel que soit le modèle de société, l’être humain a besoin d’échanges consistants, d’interactions, de confrontations à autrui. S’il n’en a pas suffisamment, il les crée.

2. Le piège de la logique dualiste

Besoin de confrontation ne signifie pas forcément opposition. Difficile de sortir de notre conditionnement ancien qui nous a habitué au dualisme systématique, si pratique à la gestion des grandes populations (comme je l’explique dans plusieurs chapitres de « L’Esprit des mots »).

Dès le début 2020, une nouvelle catégorie d’individus apparait, appelés les « conspirationnistes ». Le sont-ils (tous) ? Etait conspirationniste toute personne se questionnant, doutant ou s’opposant au discours médiatique (unique). Pas de place au questionnement, pas de place au doute, pas de place à ceux ne pensant pas comme cela est attendu d’eux. Aujourd’hui, la « bataille » se joue entre les pro et les anti pass sanitaire.

La définition a changé, le résultat reste identique : celui d’être « pour » ou « contre ».

Deux conséquences majeures en résultent.

La première est que, vivant actuellement cette crise, l’émotionnel domine. Il domine car nous sommes majoritairement dans la peur (de la maladie, de la mort, de la perte de liberté, d’une idée de ce qu’est la responsabilité…) ou dans la colère (contre les vaccinés, les non vaccinés, les politiques, les manifestants, les voisins, les amis, la famille, la perte d’emploi, la baisse de salaire, le télétravail, l’intendance des enfants à la rentrée…). Il domine et nous épuise psychiquement depuis 18 mois. Chacun a ses opinions, a fait ses choix, a avalé des compromis et s’adapte comme il le peut aux girouettes décisionnelles.

Cela aboutit au fait que chercher à influencer, les populations de la part des dirigeants, ou nos voisins et nos collègues de notre part, reste dorénavant illusoire. C’est trop tard pour cela !

Quelle que soit l’information diffusée, elle ne fera que cristalliser un peu plus chacun dans ses retranchements, avec une potentielle escalade émotionnelle, voire idéologique. Chercher à « raisonner » la population est actuellement stérile voire toxique, puisque cela creuse l’abîme entre deux camps principaux de postures individuelles.

Par ailleurs, quiconque se range dans un camp alimente le phénomène de montée en escalade d’opposition. Vaut-il mieux manifester, ne pas manifester, critiquer ceux qui manifestent, les manipuler ? Tant qu’il y aura des actions « pour » ou « contre », nous resterons dans la logique actuelle, coincés dans une confrontation idéologique.

Je ne dis pas qu’il ne faille pas agir, ni se positionner ; je dis simplement qu’en agissant, nous devons être conscients que nous nourrissons simultanément une logique qui nous empêche de passer à autre chose. Nous avons donc chacun à estimer dans quelle proportion nous nous rallions officiellement à un camp, et dans quelle autre, nous faisons ce que nous avons à faire, incognito ou discrètement.

La seconde conséquence de cette logique dualiste dans laquelle nous baignons est que les pro, tout comme les anti pass sanitaire, ne constituent pas de catégorie homogène. C’est toujours plus facile pour un gouvernement, un média ou un analyste de se satisfaire d’une opposition binaire. Ce que nous vivons actuellement est bien plus complexe car aucun des deux camps ne peut être clairement défini. Pour la première fois dans l’histoire récente (je me limite à ces 40 ou 50 dernières années), impossible de trouver le dénominateur commun entre tous au sein de chaque camp, autre que « pour » ou « contre ».

Pour ou contre quoi ? Les raisons d’être « pour » ou « contre » ne se limitent pas au fait de manifester ou de ne pas manifester, de se faire vacciner ou non. Elles se déclinent sur plusieurs registres (politique, sanitaire, scientifique, idéologique, éthique, juridique…), sur plusieurs temporalités (effets court terme et dérives à long terme), sur la différence de traitement en fonction des corps de métiers (le pass est obligatoire au cinéma, mais pas au supermarché), sur la forme (incitation à ladite « responsabilité individuelle » vs loi), sur la situation d’essai clinique expérimental à grande échelle (l’acceptons-nous ou pas), et bien d’autres critères.

Si bien qu’au lieu d’être en situation duale, les français se montrent aujourd’hui comme une population extrêmement complexe, éclatée, une véritable mosaïque d’appartenances multiples, qui ne l’empêche pourtant pas de faire corps au sein de chaque camp.

Or, au-delà de cette logique binaire, il se passe quelque chose sur un autre plan d’existence, indépendamment du fait d’être globalement « pour » ou « contre » ce pass sanitaire. Nous expérimentons, individuellement et collectivement, un phénomène nouveau : celui d’appréhender un réel complexe (car répondant à d’autres logiques) et inconfortable (car nouveau et non maitrisé). Il nous rassemble et nous divise. Il nous met à l’épreuve. Le réel est joueur, il perturbe nos habitudes et nos certitudes, pose des dilemmes. Et nos institutions et gouvernants le vivent comme nous dans nos chaumières.  

3. L’amalgame des responsabilités en société 

L’être humain est un animal social, ce qui signifie qu’il crée des modes d’organisation et des règles pour la survie et la pérennité du groupe. Nos ancêtres vivaient initialement en clans ou en tribus, nous vivons aujourd’hui majoritairement au sein de grands États s’agrégeant dans un écosystème de mondialisation. Il existe de très nombreuses manières de « faire société », avec différents types de gouvernements ou de régulation collective.

Cependant, quelles qu’en soient la forme et la taille, une société existe si et seulement si l’intérêt général (ou l’idée que l’on s’en fait) prévaut sur l’intérêt individuel. Ainsi, en fonction du type de société, qu’il s’agisse de coutume, de règle orale ou de loi écrite, l’individu se soumet aux injonctions du collectif pour réguler le quotidien (tout comme des règles plus ou moins tacites sont instaurées au sein des couples ou en famille par exemple). Nous sommes tous soumis à quantités de lois que nous acceptons collectivement au quotidien, même si, en tant qu’individu, nous sommes parfois critiques sur leur pertinence. Nous alternons entre des libertés et des contraintes, entre des droits et des devoirs.

Actuellement, nous sommes emportés par deux dérives majeures qui s’amalgament l’une l’autre et créent de la confusion (largement exploitée politiquement et médiatiquement) :

La première dérive est que nos sociétés sont devenues extrêmement individualistes. Chacun revendique ses singularités et les droits qui devraient y être associés, au nom de la liberté et des droits fondamentaux. Sur le principe, je ne peux que m’en réjouir et y adhérer comme je le fais régulièrement lors de mes interventions écrites et orales. Dans les faits, notre situation juridique est à l’image de la grammaire française, un casse-tête truffé d’exceptions ! Habitués à vouloir défendre nos intérêts individuels, nous revendiquons encore des droits individuels, quitte à parfois oublier ce qui reste commun pour tous.

C’est pourtant ainsi que notre société évolue, que les lois changent, que nous en sommes là où nous en sommes aujourd’hui. Notre trame sociétale est le fruit de personnes qui ont accepté sans broncher certaines règles et d’autres qui ont revendiqué des changements (comme je l’explique dans « Éloge des métiers hybrides »). Les deux postures sont indissociables du cycle de vie des sociétés, et chaque citoyen jongle avec ces deux aspects (Qui n’a jamais critiqué l’État, le gouvernement, une décision de justice ?!). La difficulté actuelle est que le morcellement individualiste est devenu extrême.

Et nous voilà plongés dans une querelle de sourds ! Le voisin est perçu soit comme un égoïste focalisé sur ses droits individuels (oubliant le bien collectif), soit comme un mouton enlisé dans son confort quotidien. Dans les deux cas, il est perçu comme inconscient et irresponsable aux yeux de l’autre.

La seconde dérive est celle des institutions au sens large. L’État et le gouvernement sont garants de maintenir et de structurer la société avec des lois, et de veiller ensuite à leur respect pour l’intérêt général, dans le respect des droits individuels fondamentaux.

Si nous sommes bien en contexte de santé publique face à une crise sanitaire, pourquoi le gouvernement n’instaure-t-il pas de politique de santé publique franche en imposant le vaccin pour tous ? C’est bien ce à quoi nous sommes soumis depuis des années avec le vaccin DTPolio par exemple. Content ou pas content, d’accord ou pas d’accord, à chacun de s’y plier ou de contourner comme il le peut ce DTPolio. La situation est différente pour le vaccin contre la grippe : chacun est libre de choisir s’il se fait vacciner, sans que cela ne change son quotidien.

Pourquoi cette différence ? D’un côté, nous avons une obligation conformément à une loi de santé publique qui s’applique pour tous, d’un autre, une recommandation pour les personnes fragiles.

Un autre cas est celui de certaines professions, soumises à des vaccins spécifiques. Cela ne conditionne que l’exercice de leur pratique professionnelle, en aucun cas leurs faits et gestes quotidiens.

Pour résumer, les injections dont il est actuellement question relèvent-elles du registre publique (santé publique) ou du registre privé (choix individuel) ?

Rappelons qu’aujourd’hui, les quatre substances dont il est question (des quatre laboratoires actuellement concernés) sont commercialisées sous « AMM conditionnelle » seulement (Autorisation de Mise sur le Marché conditionnelle).

Ainsi, le gouvernement (via les prises de parole et cette fameuse loi du 5 août 2021) tente de convaincre la population de choisir individuellement ce qui relèverait de l’intérêt général. Aux autres, la sentence d’être privé de libertés fondamentales pour ne pas endosser la responsabilité que le gouvernement n’est pas capable d’assumer. Pas étonnant que ça grince chez certains citoyens !

Les services publics quant à eux ne sont pas mieux lotis puisque pris au piège des politiques gestionnaires, coupes de budgets, manque de matériel et de personnel. Pris à la gorge depuis des décennies, comment attendre de ces services qu’ils mènent leur mission de manière satisfaisante sans broncher ? qu’ils n’instrumentalisent pas, eux aussi, la situation pour réclamer ce qui leur fait défaut ?

La mutation anthropologique passera par l’effondrement de nos institutions.

Elles sont déjà à l’agonie, incapables de tenir leur rôle, de prendre leurs responsabilités, tentant désespérément de faire illusion, prises au piège par les alliances économiques privées (et les conflits d’intérêts qui en découlent).

L’état tente pourtant de tenir la barre. Il cumule les périodes d’état d’urgence (pour diverses raisons : émeutes en banlieues en 2005, menaces terroristes de 2015 à 2017, puis sanitaire depuis 2020). Il installe des mesures exceptionnelles qui persistent, mêlant contrôle de la population, atteinte et réduction continues des droits fondamentaux. Les raisons invoquées sont inlassablement celles de la sécurité des populations et du principe de précaution.

La Nation ne fait alors plus corps.

Contre toute attente, la société civile a de plus en plus de latitude et de légitimité pour faire valoir son idée de la société, jouer d’inventivité, arbitrer. Là où la situation parait enlisée, dramatique pour certains, le processus de renouvellement s’enclenche, avec redistribution des rôles à la clé.

4. L’état des lieux de la mortalité

L’histoire est écrite par les humains, les projecteurs judicieusement orientés, les arguments judicieusement choisis, les éléments déclencheurs souvent oubliés, simplifiés ou détournés. C’est vrai pour l’histoire longue autant que pour l’histoire courte. Je ne déroge pas à la règle, cherchant toujours à ouvrir les perspectives, conjuguer les points de vue parfois contradictoires, qui constituent pourtant chacun une part de la réalité. Je n’oublie pas non plus que l’impensable arrive dans l’histoire, même si nous n’y sommes pas préparés.

Et c’est bien ce que nous avons tous constaté par expérience depuis fin 2019 (les débuts de l’histoire) – début 2020 (ampleur du phénomène).

Ce retour historique m’interpelle sur trois champs :

Le premier tient à la notion de « pandémie ». Le terme signifie une épidémie de grande ampleur à l’échelle d’une région, d’un continent ou du monde. L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) précise qu’il s’agit d’une maladie nouvelle qui se propage rapidement. Cependant, les définitions médicales actuelles ne précisent pas si une pandémie est de caractère létal ou non.

Quelques articles (dont un dans Le Monde au printemps 2020 de mémoire) avaient illustré les degrés de contagiosité et de mortalité des épidémies des cent dernières années dans le monde. La courbe exponentielle qui en ressortait montrait qu’une maladie fortement contagieuse était peu mortelle, là où une maladie très mortelle était peu contagieuse (en quantité et en vitesse de contagiosité).

Notre imaginaire collectif identifie deux registres distincts : il relie les épidémies à la contagiosité (telle les maladies infantiles) et les pandémies à la mortalité décimant 20 à 50% de la population (telle la peste bubonique ou la grippe espagnole).

En choisissant de parler de pandémie dès début 2020, nous voici donc face à un biais entre une définition officielle peu précise et des mémoires collectives de traumatismes. Aucune surprise sur ce que cela induit auprès de la population.

Le second est le constat d’un monticule ininterrompu de chiffres, de courbes, de statistiques systématiquement incomparables les uns avec les autres, aux référentiels variables, aux analyses raccourcies douteuses. Le problème n’est pas tant de quantifier puisque nous vivons encore dans une société du quantifiable, du chiffre ; le problème est : pourquoi ces données ne sont-elles pas exploitables d’un jour sur l’autre ? Pourquoi ne sont-elles pas mises en perspective par rapport à d’autres causes de décès, ou contagiosités ? Pourquoi la quasi-totalité des décès est-elle due au Covid ? Comment les décès sont-ils comptabilisés ? Spontanément, si on me parle de x milliers de morts, j’ai besoin de me rendre compte. Et un chiffre brut ne me le permet pas. Mettre côte à côte le nombre de décès en Inde, aux USA  et en France n’a aucun sens puisque les populations ne sont pas comparables (1,366 milliards vs 328 millions d’habitants vs 67 millions).

J’ai donc besoin d’identifier cela par rapport à la population totale, j’ai besoin de le comparer à d’autres causes de mortalité. J’ai besoin de me rendre compte de ce que cela représente. Pourquoi cela n’est-il pas fait ? Que se cache-t-il derrière ce qui n’est pas dit ?

C’est donc ce que j’ai fait au printemps 2020, puis à l’automne 2020, et la semaine dernière à mon retour de voyage.

Le troisième constat est donc le résultat de ces éléments. Je souhaite avoir une image claire de cette pandémie, à savoir : à quel point est-elle mortelle ?

Mes études scientifiques m’ont appris à toujours aller à la source et prendre les données brutes.

Ceci est à la portée de tous ceux qui ont fréquenté le collège : une compétence réduite en mathématiques avec une simple règle de trois pour calculer un pourcentage !

J’ai donc voulu savoir pour la France d’une part, puis dans le monde ensuite quel était le taux de mortalité total. Une comparaison avec les années précédents 2020 montrerait alors l’incidence du covid et l’ampleur du phénomène.

Pour cela, j’ai besoin de la population totale et du nombre de décès (toutes causes confondues) pour chaque année afin de calculer un taux de mortalité. Pour la France, l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques) fournit les données brutes officielles. Je me suis limitée à une visibilité sur 20 ans avant le début du covid, soit depuis 2000. (Ces chiffres sont ceux utilisés par l’ONU et par la Banque Mondiale, qui me seront ensuite utiles pour les données monde).

Voici donc pour la France, le taux de mortalité de 2000 à 2019 (impression écran avec adresse mail source pour ceux qui souhaitent vérifier ou approfondir).

Pour les années 2020 et 2021, encore non visibles sur ce graphe, j’ai retenu les données mensuelles de la population française et celles de mortalité de l’INSEE (notons que les données de mortalité restent provisoires (p) depuis janvier 2020).

Le taux de mortalité 2020 en France est de 9,93 pour 1000. En prolongeant le graphe ci-dessus, cela produit certes un pic par rapport aux taux précédents entre 8,3 et 9,1. Mais ceci correspond à une augmentation de moins d’un point pour 1000, soit <0,1%.

Nous sommes loin des hécatombes suggérées.

Pour le 1er semestre 2021, les chiffres sont similaires à ceux de 2020. (Je vous épargne le graphe mensuel en fonction des saisonnalités qui met en évidence des épisodes de plus forte mortalité momentanés tels que la canicule ou certaines grippes saisonnières.)

Ce taux d’évolution de la mortalité en France, toutes causes confondues, est à relier au fait que la population française augmente d’année en année (cf graphe suivant) et que sa population vieillit, deux facteurs modifiant la courbe des âges et faisant donc augmenter « naturellement » le taux de mortalité.

Côté monde maintenant, j’ai eu beaucoup plus de difficultés à trouver des données complètes exploitables. En effet, la tendance actuelle sur les sites officiels est de ventiler les causes de mortalité sans forcément accéder aux données brutes. L’OMS et l’ONU ne m’ont pas fourni ces données brutes, l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques) s’appuie uniquement sur des estimations avant covid. D’autres sources officielles synthétisées sur wikipédia donnent les chiffres quotidiens ou bien le nombre de « décès officiellement covid » depuis le début de la pandémie, soit depuis presque deux ans (en fonction des pays concernés).

J’ai donc utilisé les données de la Banque Mondiale. Voici donc pour le monde, le taux de mortalité de 2000 à 2019 (impression écran avec adresse mail source pour ceux qui souhaitent vérifier ou approfondir).

Le taux de mortalité mondial baisse constamment depuis 2000 pour atteindre 7,53 pour 1000 en 2019.

J’ai bien les données de la population totale pour 2020 et pour le premier semestre 2021, mais aucune donnée brute de la mortalité mondiale pour ces seules périodes. Impossible donc, en l’état, de continuer la courbe pour identifier l’impact covid sur la mortalité globale dans le monde.

Pour ne pas rester sur cette frustration, je cherche un autre référentiel pour me donner une idée de la situation. Je me concentre donc, non plus sur le nombre de décès toutes causes confondues, mais sur le « nombre de décès officiellement covid ».

Concernant les trois pays les plus touchés, à savoir les USA, l’Inde et le Brésil, je calcule le taux de mortalité officiellement covid par rapport à la population totale depuis le début de la pandémie.

USA : 1,88 pour mille, soit 0,2%

Inde : 0,3 pour mille, soit 0,03%

Brésil : 2,67 pour mille, soit 0,3%

France : 0,17 pour mille, soit 0,02%

Monde : 0,55 pour mille, soit 0,06%

(Source ci-dessous au 10 août 2021, reprenant les données nationales de chaque pays, et données de population mondiale 2020 : Banque Mondiale)

Ces chiffres sont approximatifs : d’abord ils sont calculés avec la population totale de 2020, ensuite les définitions de morts covid ne sont pas lissées entre les pays, enfin les décès potentiellement covid non comptabilisés car non hospitalisés n’apparaissent pas. Même si ces résultats sont largement sous-évalués, ils montrent pourtant un faible taux létal « officiellement covid ».

Les « cas-covid » sont bien évidemment plus importants. Pour me faire une idée, en utilisant ces mêmes sources (sous-estimées car de nombreux cas n’ont pas été officiellement déclarés) :  

2,6% de la population mondiale a été touchée à ce jour.

10,9% de la population aux USA, 2,3% en Inde, 0,4% au Brésil, 9,6% en France.

Les diverses mesures de confinement ont dû enrayer la propagation. Impossible pourtant de savoir dans quelle proportion.

Récapitulons :

Début 2020, une pandémie mortelle doit être enrayée par tous les moyens. Eté 2021, le sujet est toujours d’actualité, dorénavant focalisé sur la nécessité de se faire vacciner pour se protéger de la pandémie, à savoir ne pas en décéder et éviter de souffrir de ses formes graves.

La situation mondiale est globalement similaire, avec des contrôles systématiques de test PCR aux frontières. S’y ajoutent en fonction des pays, la vaccination covid, 7 à 15 jours d’isolement plus ou moins drastique, les motifs impérieux pour entrer dans le pays, parfois la fermeture des frontières.

Revenons en France. Les défunts de ces 18 derniers mois sont partis dans des conditions inhumaines. Leurs proches ont subi le traumatisme de privation de deuil, dont les conséquences sont encore à peine visibles. Les naissances se sont passées en situation tout aussi inacceptables, autant pour la mère que pour l’enfant. Les personnels médicaux sont à bout face à une reconfiguration complète de leur manière de travailler dans ces conditions nouvelles, sans l’équipement nécessaire. En dehors des hôpitaux, l’économie de proximité et celle de nombreux secteurs d’activité se sont effondrées. Pour ceux qui ont repris, ils doivent ménager la chèvre et le chou, entre les obligations nouvellement imposées et les conditions de travail des salariés.  Les lieux de culture ont été systématiquement fermés, peu importe leur fréquentation. Les activités essentielles ont été artificiellement redéfinies au détriment des besoins humains fondamentaux, comme je l’exprimais dans cette tribune en mai 2021. Les jeunes générations, enfants, adolescents et étudiants, ont été sacrifiés avec des conditions de scolarité et d’études en pointillés et inefficaces, ainsi qu’une privation de contacts et d’activités pourtant indispensables.

S’y ajoutent les fragilités psychiques pour tous sans exception, dans des proportions variables qui restent largement sous-estimées par manque de recul.

Pourtant, les défunts en France officiellement associés au covid représentent aujourd’hui moins de 10 pour 1000, soit moins de 1%. Je suis curieuse des chiffres mondiaux consolidés à venir et je m’interroge sur la disproportion entre les risques annoncés, les mesures imposées et les dégâts causés.

J’ai douté de la pertinence des chiffres retenus. Cependant, il n’existe aucune raison que l’INSEE ou la Banque Mondiale minimise les données brutes, bien au contraire. Or, les chiffres officiels ne montrent pas l’hécatombe mortelle annoncée.

Le covid est effectivement un vecteur important d’infection, avec parfois des conséquences longues (notamment respiratoires). Sur un autre plan, le covid apparait aussi comme un vecteur de (dé)verrouillage de nos anciennes manières de vivre : tout se passe comme s’il nous enfermait dans une manière de penser déjà dépassée et nous invitait simultanément à réinventer notre quotidien:

Entre les témoignages et les nombreuses études récentes, la moitié des français a déjà modifié de manière durable son mode de vie. Les tendances aux changements radicaux s’accentuent : rythmes de vie différents, baisse de consommation de produits manufacturés, reconversion professionnelle actée, changement de cadre de vie avec déménagement, boycotte de certaines enseignes…

L’effet covid invite à dresser le bilan, arbitrer ses priorités et passer à l’acte.

En bref

Est-ce que nous nous enlisons toujours plus ? Ou bien commençons-nous à voir le bout du tunnel ? Devons-nous être pessimistes ? Comment être optimiste ? La situation actuelle semble vicieuse, sournoise et insidieuse, pour tous.

Drôle de monde qui s’effrite, s’effondre, tente de résister et pose en même temps les jalons pour perdurer coûte que coûte et se réinventer.

L’effet covid montre les excès de précaution de nos sociétés, les dérives de vouloir tout maitriser, tout sécuriser, tout tracer, individus y compris. Par ailleurs, il montre les limites des communautés de trop grande taille, qui éclatent d’abondance. Il accélère la chute institutionnelle de nos gouvernances et les soubresauts de leurs dirigeants.

Cela sera-t-il au profit du « toujours plus » : plus de consortiums multinationaux, plus de surexploitation de tout, plus de traçabilité des moindres faits et gestes des populations ? Tout cela appelé progrès ?… Ou cela sera-t-il au profit d’une société multiple, plus humble, privilégiant les interactions au sein de communautés réduites et ouvertes, vivant de consommation raisonnée, intégrée et connectée à un monde plus grand (ce que j’appelle le sacré), où les lois du vivant détrônent les enjeux économiques ? Cela débouchera-t-il sur d’autres modèles encore ?

Au-delà des interrogations, le constat montre que notre monde dit civilisé est devenu absurde, aujourd’hui ponctué de mesures nationales versatiles et dénuées de cohérence. Il nous rappelle qu’à vouloir tout maitriser, nous en avons oublié notre condition d’humain mortel, soumis à des lois qui le dépassent, peu importe l’argent injecté, les décisions imposées et les conditionnements enracinés.

Certains n’ont pas été touchés de près par la maladie, mais chacun de nous gardera en mémoire la violence de l’événement, tel qu’il a été géré aux niveaux national et mondial, avec les retombées quotidiennes pour tous, sans exception. Ceci est un événement d’ampleur sans précédent dans l’histoire de notre espèce. Que voulons-nous en faire ? Quel monde souhaitons-nous léguer à nos enfants ? Comment nous leur expliquerons ce que nous avons fait ou non ?

Ce type d’événement se répètera peut-être encore, comme une énième invitation au discernement : se questionner, choisir, se positionner, agir. A découvert ou discrètement.

Le réel aujourd’hui nous impose l’expérience de l’incertitude (que je définis dans « Tel un roseau » comme l’un des deux enjeux ontologiques de notre époque, avec l’expérience du sacré, la connexion au vivant).

Le réel nous questionne dans nos choix d’existence, et les conséquences qui en découlent. Il nous invite à être plus conscient de notre juste place et de notre rôle dans l’écosystème que nous avons goulument colonisé. Il nous propose ainsi de réinvestir nos modes de vie, de faire preuve d’inventivité et de souplesse, de nous connecter à autre chose que ce qui nous a été collectivement transmis. Il permet de faire émerger de nouvelles logiques, qui nous échappent encore.

L’improbable arrive dans l’histoire. La peur est un piège, les questionnements un tremplin.

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En complément de cet article : Prendre place, Renouer avec l’incertitude et le sacré.

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