anthropologue, ethnologue

L’anthropologie et l’ethnologie s’intéressent à l’humain dans son contexte de vie.

L’anthropologue est un analyste culturel (au sens large) par immersions pour révéler à une société ou un groupe de personnes d’autres facettes d’elle-même et interpeller sur ce qui se joue.

André Leroy-Gourhan les définit comme « la science de la diversité humaine avec son champ d’investigation limité ni dans l’espace, ni dans le temps. »

A tout vaste champ d’étude correspond une multitude de définitions possibles, dont le spectre s’étend entre une vision classique et parfois restrictive de la discipline et des hybridations variées.

Ainsi, l’ethnologue ou l’anthropologue peut être un professionnel plutôt aventurier qui partage de longs mois, voire des années de vie quotidienne avec des peuples racines dans des zones lointaines et reculées; à son retour, il peut écrire des récits de voyage, ou des articles académiques / une monographie transmis à un cercle d’initiés ou à une institution commanditaire.

Cependant, il peut aussi exercer autrement, dans des contextes à l’exotisme différent, et proposer des contributions d’un autre genre.

Car son terrain est large : ce peut être l’humain dans sa globalité, une société, une communauté, une institution, une entreprise, mais aussi un champ comme l’activité professionnelle, un lieu ou un métier particulier, le système de parenté, la musique, le tissage ou la cuisine, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou hier, voire demain.

Le propre de l’ethnologue et de l’anthropologue, est de proposer un autre regard : à la fois un rapport d’étonnement et une mise au point.

Tel googlemap, il est capable de zoomer ou de dézoomer à l’extrême, d’incliner le plan par rapport à un ou plusieurs critères. Il ouvre les perspectives et scrute les détails. Il peut observer et vivre simultanément dans plusieurs réalités. Il éclaire en rendant visible ce qui paraissait invisible.

Du point de vue méthodologique, ces disciplines s’appuient sur un panel de techniques de recherche qualitative et d’observation.

Distinguons trois phases, sous trois dénominations différentes, partiellement successives et imbriquées :

  • L’ethnographie permet de recueillir des données de terrain (recueillie par observation, entretiens et échanges, par approche directe et immersion). Il s’agit de « l’observation participante », qui oblige à se défaire de sa propre culture pour pénétrer la mentalité de la population considérée. Cette phase est descriptive et analytique, étape indispensable comme le sont les gammes pour le musicien.
  • L’ethnologie permet de croiser le recueil de matériau avec d’autres données, théorisées ou non. Ceci impose un important travail de veille et de recherche documentaire. Il s’agit d’une phase de décodage, d’analyse, parfois de comparaison ou d’analogie, une investigation complète pour identifier la « logique des choses ».
  • L’anthropologie vise les invariants (les « lois ontologiques ») à partir des états de connaissances ethnologiques de divers terrains à diverses époques. Il s’agit de prendre une hauteur supplémentaire et découvrir ce qui est le « propre de l’humain ».

Certains professionnels vont préférer le terme d’ethnologue à celui d’anthropologue, ou l’inverse ; d’autres les accolent ou les complètent avec une spécialisation particulière. Peu importe, car ces disciplines s’étendent sur la totalité des sciences humaines et sociales, ainsi que des sciences naturelles.

L’approche est qualitative, inter et transdisciplinaire, systémique, fondamentalement holistique.

Définir les termes est une chose, mais comment fait-on ensuite ? Il existe de nombreuses manières d’aborder ces disciplines d’étude de l’homme dans son contexte de vie.

J’opte pour une mise en relief sur quatre aspects qui, il me semble, permettent de saisir à la fois la démarche et les bénéfices possibles d’une intervention ethno-anthropologique.

J’y intègre délibérément une coloration personnelle qui pose mes orientations de pratique.

I – Quelle est la place de l’humain?

L’ethnologie et l’anthropologie ne se résument pas à l’étude de l’Homme, car il est impossible de le séparer de son lieu de vie et d’activité. Il s’insère dans un contexte et cela participe à sa vision du monde, à la culture qu’il crée en un lieu et à une époque donnés.

Aussi, l’humain entretient des liens avec son environnement, avec les autres et avec lui-même, et des interactions en découlent.

L’ethnologue peut se focaliser ou bien sur l’individu ou bien sur le groupe.

En général, je préfère considérer l’humain comme un capteur de ce qui le traverse et porter mon attention sur les interactions et les flux d’information. Ils existent, qu’ils transitent ou non par l’humain. Ainsi, la nature et l’étendue des influences deviennent plus lisibles, et la tentation de positionner l’humain en surpuissance – parce qu’au centre du système – est gommée.

II – Qu’avons-nous tous en commun?

A chaque contexte correspond des possibilités de s’adapter. Ainsi, un large éventail de diversités culturelles existe en fonction de la configuration géographique, du climat, du système de pensée, des époques, des organisations établies, de la langue et des modes de communication, des technologies et des arts existants, des circonstances et des valorisations établies.

Le travail de l’ethnologue s’appuie sur une communauté particulière pour appréhender tout ce qui fait d’elle une communauté unique. Mais une communauté n’a pas de taille minimale et peut être définie d’innombrables manières. Parce que chacun appartient simultanément à de nombreuses communautés, il lui est toujours possible de trouver un argument pertinent pour, ou bien « être comme », ou bien « être différent » des autres membres de la communauté. Rester focalisé sur une diversité peut augmenter le risque de différencier, de scinder, d’opposer, de confronter, d’exclure.

Aussi, compte tenu de l’état actuel du monde, je tiens à combiner les approches ethnologique et anthropologique ; c’est-à-dire à

faire dialoguer les diversités autant que les marqueurs communs et invariants

(ce que nous avons tous en commun). Je présente alors ces invariants comme une sorte de territoire commun au sein duquel chacun peut s’exprimer à sa manière.

III – Comment les communautés inventent-elles le concret?

Les communautés ont inventé et développé les institutions pour leur permettre de réguler le groupe de taille suffisamment importante. On peut dire que l’institution est au service de valeurs et de pratiques de la communauté. L’institution sert de cadre structurant à la communauté qui se plie à elle et la fait évoluer dans le temps. Plus les communautés sont imposantes en taille et en tradition historique, plus les institutions agissent avec inertie pour les faire évoluer. Les institutions montrent une partie visible de la communauté, un « pignon sur rue », avec règles et procédures (écrites ou non selon les sociétés concernées), avec parfois une traçabilité historique possible qui légitime son utilité et sa pérennité.

A un autre niveau, une communauté se régule et se structure par son imaginaire, ce en quoi elle croit. Cette partie de la communauté est intangible, elle nécessite des détours, des effets de miroir, des mises en relief. Pour une communauté, l’ordre des choses est un ensemble de conventions construites au fur et à mesure, et qui devient des évidences, une mentalité qui colle à la peau.

Là encore, il est utile de considérer les deux aspects proposés qui se complètent et s’entretiennent. Pourtant, j’ai une nette préférence pour le matériau de l’imaginaire, que je place volontairement au centre de ma pratique.

Là où l’institution révèle les symptômes, l’imaginaire révèle l’état d’esprit, c’est-à-dire l’intention de départ aux actes.

L’imaginaire englobe l’infini des possibles. L’imaginaire détient la force de frappe de la communauté, à la fois un pouvoir d’assise et une puissance de transformation.

IV – Pourquoi préférer le « comment? » au « pourquoi? »?

Comprendre le pourquoi des choses rassure.

Nous aimons maitriser la logique à l’œuvre, cela permet de prévoir, d’anticiper. Avec une communauté inconnue, il est impossible de comprendre d’emblée, et d’autant plus lorsqu’elle est très éloignée de nos conceptions et manières d’agir.

Rendre l’inconnu connu demande de la patience et un état d’esprit particulier : cela exige de nous éloigner de nos habitudes, de nous déphaser de nos logiques pour être en capacité d’accueillir l’autre manière d’être. Par observations, échanges et confrontations au réel de cette communauté étrangère, l’ethnologue pénètre un autre monde avant même de pouvoir le comprendre, de saisir le pourquoi des choses.

Celui qui jugerait la pratique d’autrui en fonction de son cadre de référence, voire celui qui proposerait une « meilleure solution » à ce qu’autrui pratique (comprenons une solution moins archaïque, plus développée, plus technique, plus innovante, plus esthétique…), celui-ci resterait extérieur à la communauté. Car le jugement de valeurs est la première étape d’une posture de pouvoir et de domination, peu importe la saine intention qui puisse être liée. Des exemples d’une telle posture existent vis-à-vis de peuples racines, ou de populations de pays dits sous-développés tout autant qu’en entreprise ou envers les consommateurs. Même si l’un des enjeux de l’ethno-anthropologue est de comprendre la communauté – le pourquoi de ce qui est dit, fait et pensé – il ne s’agit ni d’une finalité, ni d’un prérequis, seulement d’une modalité d’accès parmi d’autres à cet autre mode de vie.

Aussi, l’ethnologue doit se concentrer sur le « comment » tout au long de la phase d’étude ou d’accompagnement : comment telle pratique s’inscrit dans le groupe, comment tel objet s’inscrit dans le quotidien, comment tel événement se prépare ?

Le comment amène l’ouverture et la compréhension.

Le comment garantit le respect de la communauté dans sa spécificité, il ouvre accès aux éléments valorisés par elle, il permet d’identifier leurs enjeux et leurs potentiels. Il est ancré dans le vivant, il vise l’action, il produit de la connaissance et du sens.

Finalement, l’ethnographie, l’ethnologie et l’anthropologie permettent d’accéder à la connaissance de l’autre, à la connaissance de contexte, à la connaissance de soi-même. Ces disciplines pointent des zones d’ombre, voire des points aveugles, des coûts cachés, des acteurs absents, des logiques activées et des potentiels latents. Elles aident à comprendre le positionnement de chacun, l’étendue et la nature des influences à l’œuvre et appuient les capacités de choix et de décision, au niveau sociétal, collectif et individuel.

Elles s’inscrivent pleinement dans les courants actuels des débats publics, elles forcent à reconsidérer les choix de civilisation que nous vivons et entretenons, elles bénéficient d’une force de frappe répartie sur tous les champs de notre quotidien, tant au niveau sociétal qu’au niveau individuel. Elles permettent d’échapper au prêt à penser.

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Cet article constitue un chapitre dédié du livre L’Esprit des mots, en version enrichie et affinée. 

Cet article est édité sous licence Creative Commons « Attribution – Non commercial – Pas de modifications »: (CC BY-NC-SA). 

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