Ouest France, Point de vue « Oublions le travail! »

« Dans notre culture, le travail est un échange entre du temps de production et une rétribution, monétaire le plus souvent. Il est scellé par un contrat juridique, devenu norme sociale d’intégration. » | GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO
Ouest France, édition papier

Je remercie Ouest France de leur sollicitation!

A lire sur le site Ouest France, versions en ligne et papier, publié le 21 octobre 2021. En voici la retranscription:

POINT DE VUE. « Oublions le travail ! »

« Le travail est de moins en moins au centre de nos vies, il devient un moyen parmi d’autres. Cette puissante métamorphose nous oblige à repenser le travail ». Par Audrey Chapot, anthropologue.

« Comment ça « oublions le travail » ? Impossible ! Sans travail, notre société s’écroulerait.

Encore une idée reçue, un a priori qui nous coince dans des modèles de pensée figés et dorénavant dépassés. Dépassés car le travail ne répond plus aux enjeux de notre époque.

Rappelons-nous que le travail est une construction sociale. Il n’a rien d’universel.

Ce qui est universel, c’est l’activité (de création d’objets, d’idées ou d’arts). Les activités sont incontournables et structurantes, avec pour triple fonction : rôle de subsistance pour trouver alimentation et abris, rôle social pour maintenir la communauté, et rôle identitaire pour se positionner dans le groupe.

Notre temps est réparti en une mosaïque d’activités

Toutes les sociétés connaissent les activités, toutes ne les définissent pas par l’idée de travail. Dans notre culture, le travail est un échange entre du temps de production et une rétribution, monétaire le plus souvent. Il est scellé par un contrat juridique, devenu norme sociale d’intégration. C’est un puissant instrument de conditionnement pour structurer, hiérarchiser, réguler et cimenter notre société. Ainsi, nous avons créé une distinction entre ce qui relève du travail (rémunéré) et du loisir (occupations temps hors travail).

Dans d’autres cultures, le travail rémunéré n’existe pas, les loisirs non plus. Cela signifie-t-il qu’ils ne travaillent jamais, qu’ils travaillent toujours ?

Concrètement, le formatage traditionnel est déjà obsolète. Nos modes de vie évoluent. Nos comportements le prouvent !

Nous combinons une ou plusieurs activités professionnelles rémunérées, à temps plein ou partiel, mêlant des statuts différents, avec des activités de loisirs, de production non commerciale (comme récolter ses légumes) et des engagements bénévoles pour défendre une cause, un mode de vie, aider autrui, participer à un collectif. Certains travaillent à distance, à horaires flexibles. Nous alternons entre des temps de travail, des congés dits « sabbatiques » et parentaux, des temps de formation et de reconversion.

Notre temps est désormais réparti en une mosaïque d’activités. Celles qui sont rémunérées ne sont plus systématiquement les plus utiles à la société, ni les plus satisfaisantes individuellement. Le salaire n’est plus la preuve tangible de contribuer à la vie sociale et quantité d’actions non rémunérées sont pourtant indispensables.

Une métamorphose qui nous oblige à repenser le travail

Nos activités doivent faire sens, quitte à zapper d’emplois jusqu’à identifier des alternatives satisfaisantes qui répondent à nos fondamentaux : comment subvenir à nos besoins essentiels ? Comment être utile au collectif ? Comment nous définir individuellement ?

Nos mentalités changent radicalement vers d’autres priorités de modes de vie et d’autres conceptions de réussite.

Le travail est de moins en moins au centre de nos vies, il devient un moyen parmi d’autres. Cette puissante métamorphose nous oblige à repenser le travail.

Oublions-le ! Ce modèle de société est régi par l’appel du statut social, la norme salariale du CDI, la réputation d’une entreprise, les compétences remplaçables et la richesse économique, pas par l’humain.

Ce qui est en cours, ce sont des activités flexibles, des identités professionnelles multiples non figées, des contributions par missions, engagées, où la qualité des relations humaines prime, avec des rétributions monétaires et autres.

Il s’agit d’abandonner la norme du travail pour se tourner vers les activités. Un changement d’état d’esprit radical. »

Audrey Chapot, anthropologue et conseillère en entreprise*. (*Erratum: Je n’interviens plus en conseil en entreprise.)

autrice de L’Esprit des mots, BoD, 2019.

Pour découvrir d’autres articles et interventions, parcourez toutes les Actualités!