Lorsque le magazine Nous Deux me contacte pour une double page psycho!

Merci à Valérie Josselin pour notre entretien et sa bonne humeur.

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Voici la retranscription de l’article de Valérie Josselin:

Libérez-vous des dictions familiaux qui guident votre vie!

Dans toutes les familles, on retrouve des proverbes éducatifs transmis de génération en génération. Qui peuvent avoir un véritable impact sur notre lecture du monde ! Démonstration.

Lâchées prestement pour appuyer une conviction ou répétées automatiquement, ces petites phrases qui scandent notre vie de famille ont une véritable utilité : elles aident à en gérer les difficultés, en s’appuyant sur une sagesse coutumière, un savoir-faire éprouvé par l’expérience. Mais ces dictions éducatifs, par les “vérités” universelles qu’ils colportent, ont aussi leur revers : ils peuvent nous enfermer dans des croyances limitantes quand on les applique à la lettre, sans réfléchir, ou bien à l’excès. D’où la nécessité de bien les comprendre pour réinvestir sa vie. Quelles sont les valeurs qui les sous-tendent, la philosophie qui se cache derrière ? Décryptage.

Notre experte: Audrey Chapot

est anthropologue. Dans “L’Esprit des mots. Pour retrouver sens et cohérence” (Ed.Books on Demand), elle nous alerte sur l’utilisation des mots anodins et galvaudés et leurs conséquences – en quoi ils peuvent nous imposer une pensée uniformisée et manipulatoire -, et nous explique comment changer la donne au quotidien.

“On n’apprend bien que par soi-même.”

Quand bien même les conseils des parents sont pertinents et nous mettent utilement en garde, quand bien même il est nécessaire de former son esprit, cela ne suffit pas : il y a un moment où il faut s’exercer dans la vie, confronter la “théorie” au réel, expérimenter les choses. On apprend à vivre en vivant, littéralement !, en expérimentant, en interagissant avec les autres, et pas seulement en lisant des livres ou en regardant la télévision !

Comment en faire bon usage ?

En tirant les leçons de ses erreurs, en n’ayant pas peur de “se planter”, comme l’enfant qui apprend à marcher en tombant, ou le scientifique qui trouve la bonne formule en réajustant certaines variables. Capitaliser sur ses acquis permet de s’améliorer constamment.

Le danger de prendre ce dicton au pied de la lettre.

Le piège ? Etre tenté de faire d’une expérience une vérité ultime (biais de généralisation), d’en tirer des conclusions fausses et hâtives, se croire expert d’un sujet dès lors qu’on s’y est un peu intéressé. Beaucoup de personnes pêchent ainsi par manque d’humilité ! L’apport de l’autre, la remise en question, l’ouverture aux idées qui ne sont pas les nôtres font partie des richesses de l’apprentissage.

“Comme on fait son lit on se couche”

Une variante de “On récolte ce que l’on sème”, de “Celui qui veut se donne les moyens, celui qui ne veut pas se donne des excuses”, “Aide-toi et le ciel t’aidera” ou “Quand on veut, on peut”. Autant de maximes très proches de la sagesse stoïcienne : être à l’origine de sa destinée plutôt que subir sa vie.

Comment en faire bon usage ?

Ce dicton développe la notion de responsabilisation : dans la vie, il faut est nécessaire d’assumer les conséquences de ses actes. Tout le contraire de l’esprit de victimisation ou d’assistanat qui considère que certaines choses sont dues ! Il rappelle aussi que, pour atteindre un but, l’envie seule ne suffit pas, que cela demande un effort, que les bonnes choses n’arrivent pas toutes seules ou par hasard… Ce qui nous pousse à développer notre capacité de discernement (balance bénéfices/risques), à avoir un retour pertinent sur nos choix de vie.

Le danger de prendre ce dicton au pied de la lettre.

C’est la sur-responsabilisation (“Tout ce qui arrive est de ma faute”). Certaines personnes “biberonnées” à cette maxime depuis leur tendre enfance peuvent développer une trop forte exigence envers elles-mêmes – qui peut conduire à un perfectionnisme douloureux ou contre-productif -, ne jamais s’autoriser le droit à l’erreur, à lâcher prise face à cette part d’inconnu qui nous échappe. L’échec ou le non aboutissement n’est pas seulement imputable à des facteurs personnels : quand on veut, on ne peut pas toujours ! Les aléas, l’injustice, existent et nous n’y pouvons rien interfèrent sur nos actes. Refuser de composer “avec” peut nous épuiser. Et faire de nous quelqu’un de rigide, d’allergique à la fantaisie, d’intraitable avec soi et les autres… qu’on n’a aucun plaisir à fréquenter !

“L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.”

Ce proverbe ancien fait référence au sens littéral à la nécessité d’être matinal pour mener à biens les travaux des champs et bien s’occuper du bétail. Plus largement, il signifie que celui qui se lève tôt pourra davantage profiter de l’existence et accomplir ses objectifs.

Comment en faire bon usage ?

Les parents qui l’utilisent ont pour valeurs le courage, le labeur, l’effort, la tenacité, la discipline. Ils réhabilitent aussi ainsi la notion de temps-durée, indispensable pour accomplir certains actes, certains changements. A ce titre, la métaphore autour du lever est signifiante. Dormir, c’est rester dans sa petite bulle protectrice, le giron maternel. Se lever, c’est  affronter la réalité, rentrer dans l’activité, se prendre en charge.

Le danger prendre ce dicton au pied de la lettre.

Les personnes soumises à l’injonction “Ne perds pas ton temps” (sous-entendu à paresser, à rêvasser) peuvent devenir des bourreaux de travail et ne jamais s’autoriser à se reposer ni à profiter de la vie. Avec un risque d’épuisement professionnel à la clef. Or c’est dans les moments où ne fait “rien” qu’on recharge les batteries, nourrit son imaginaire et sa créativité. Ce n’est donc pas du temps de perdu ! Les obligations varient à chaque stade de l’existence. S’il faut se lever tôt pour emmener les enfants à l’école, continuer sur ce rythme à la retraite devient peut être anachronique. Il faut savoir aménager son emploi du temps en fonction de ses contraintes et de ses nouveaux besoins !

“Si tu veux parler commence par te taire !”

Les adultes ont tout intérêt à s’approprier cette citation de Corneille. Pour que l’autre puisse s’exprimer, il faut d’abord apprendre à l’écouter… Certaines personnes, qui ont besoin de monopoliser l’attention, en sont incapables et parlent tout le temps, ou assènent des “Je sais” ou des “Non, mais” à tout bout de champ. Rien de tel pour fermer la discussion…

Comment en faire bon usage ?

Il faut savoir prendre la parole à certains moments et apprendre à se taire à d’autres pour laisser l’autre exister, prendre sa place. C’est une question de respect. Faire preuve de tact et d’intelligence émotionnelle n’en donnera que plus de valeur à votre parole. Laisser ses interlocuteurs s’exprimer permet en outre de “faire son marché” dans ce qui est dit, de confronter les points de vue. Utile pour ouvrir sa réflexion ou prendre une décision !

Le danger de le prendre au pied de la lettre.

Pour les enfants ou les adolescents, c’est à nuancer. Bien sûr qu’ils parlent souvent pour ne rien dire, et que cela nous agace parfois profondément. Mais pour eux, apprendre à parler, c’est s’affirmer, c’est accéder à l’âge adulte en prenant sa place, c’est pouvoir se faire comprendre et entendre sans avoir à pleurer “comme un bébé”, à taper ou à transgresser pour se faire remarquer. Plus vous avez de vocabulaire et plus votre mode de pensée s’enrichit. Nos parents n’en avaient pas forcément conscience à l’époque : “On ne parle pas à table”, “Va jouer, ne me dérange pas”… D’où la difficulté pour certains d’entre nous d’exprimer leurs besoins et leurs émotions, d’affirmer leurs convictions, de se sentir légitimes dans leur poste. Avec nos petits-enfants, lâchons du lest et donnons-leur la parole le plus souvent possible !

« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras”

C’est une phrase qui nous pousse à réfléchir à deux fois avant de foncer tête baissée dans un choix qui va être déterminant pour notre vie. On peut en effet être tenté de lâcher la proie (l’essentiel) pour l’ombre (nos désirs).

Comment en faire bon usage ?

Sa résonance est très positive : elle nous invite à reconnaître ce que, par habitude, on ne voit plus, à savoir nos acquis, notre confort, à nous recentrer sur ce qui va bien plutôt que sur ce qui va mal, à nous méfier de l’illusion de la nouveauté. Non, l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs ! Il suffit d’ailleurs parfois de modifier quelque peu notre situation actuelle, sans changement bouleversant, pour que la vie soit plus agréable. Ce dicton nous rappelle enfin notre besoin de sécurité, indispensable à la survie de l’espèce humaine.

Le danger de prendre ce dicton au pied de la lettre.

L’excès de prudence et de frilosité vis à vis du changement peut bloquer nos envies, nos projets : “Oh, je ne suis pas si mal avec ma vieille auto qui carbure au diesel. Avec un véhicule bourré d’électronique, je ne m’en sortirais pas !” Rester enfermé dans sa zone de confort, c’est oublier de vivre ! Que serait un quotidien sans surprises ni découvertes ?