L’hygiène de vie, le choix de l’ouverture ou du rempart

Nouvel article pour Ouest France dans la rubrique « Point de vue », publié le 21 octobre 2022, en version web et papier. (Les deux articles précédents publiés dans Ouest France sont accessibles ici.)

L’article est directement accessible sur la page de Ouest France, en voici la retranscription ci-dessous.

« Dans notre culture, l’hygiène pâtit des abus de prévention et de la peur du risque

POINT DE VUE. « L’hygiène de vie, le choix de l’ouverture ou du rempart »

Audrey Chapot, anthropologue, questionne notre rapport au monde et à notre civilisation, celui de l’hygiène et de l’hygiène de vie.

Rien de tel qu’une période tumultueuse, déstabilisante et désenchantée pour interroger nos évidences du quotidien. Parmi celles-ci, l’hygiène de vie. Cette condition permettant d’être en bonne santé et de bien se porter​.

L’hygiène est la manière de préserver et d’améliorer la santé. La mythologie grecque l’exprime dans sa généalogie. Asclépios, dieu de la médecine, eut deux filles : Hygie, déesse de la prévention (incluant santé et propreté) et Panacée, déesse guérisseuse, curative.

L’idée d’hygiène est une question de point de vue, qui varie selon ce que les cultures considèrent propre ou sale, dangereux ou sain, raisonnable ou excessif. L’hygiène suit des effets de mode !

En effet, en Occident, l’hygiène est fille du médical et vise à prévenir les infections et les maladies par le nettoyage, la désinfection et la conservation alimentaire. Elle s’occupe de propreté et d’installer des barrières protectrices.

Les bains étaient publics et quotidiens dans l’Antiquité, utiles à l’hygiène du corps, de l’esprit, aux liens sociaux et aux affaires. Les ablutions restreignent et codifient les pratiques au Moyen-Âge. Elles deviennent rares et privées à la Renaissance car l’eau de la toilette était alors considérée dangereuse. Ce que l’on considère comme désinfection et conservation alimentaire varie tout autant.

Nos croyances conditionnent nos comportements. Dans notre culture, l’hygiène pâtit des abus de prévention et de la peur du risque.

L’abus de prévention mène à une stérilisation à outrance

La médecine et la santé publique exercent une pression sociale. Les politiques nationales et européennes engouffrées dans la brèche de la sécurisation excessive ont créé la notion juridique de principe de précaution​. Toujours pas clarifiée, elle ajoute un épais vernis opacifiant.

L’abus actuel de prévention mène à une stérilisation à outrance, c’est-à-dire une tentative d’éradication des micro-organismes, laissant le reste du vivant, visible, amputé. L’abus de désinfection et de stérilisation systématique sur nous-mêmes, nos environnements et notre alimentation nous plante dans un décor aseptisé, vidé de ses principes de vie, malsain​, presque mort​.

L’hygiène de vie en Occident est ainsi guidée par la nécessité de se protéger de quelque chose​. L’individu, fragilisé par une éducation qui le dé-nature, s’éloigne de la complexité du vivant pour se rapprocher d’un idéal domestiqué. Il construit des remparts pour se protéger de ses peurs du vivant.

Ailleurs, là où l’occidentalisation a moins de prise, l’hygiène est au contraire considérée comme la recherche d’un juste dosage ​nécessaire à la bonne santé. Elle maintient l’ordre naturel des choses et l’harmonie afin d’empêcher tout déséquilibre.

Il s’agit d’une véritable discipline quotidienne, d’une pratique de responsabilisation individuelle pour être et rester en bonne santé​, sain, en pleine vitalité pour soi et pour le collectif.

En définitive, la notion d’hygiène (et celle de santé associée) est plus vaste et discutable qu’il n’y paraît. L’Organisation Mondiale de la Santé insiste d’ailleurs sur l’aspect holistique de la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Il s’agit de bien vivre, de plénitude, de tendre vers un délicat équilibre entre trois principes souverains universels : écologique, spirituel et humain.

À chacun aujourd’hui de choisir entre remparts ou ouverture.

(*) Audrey Chapot, anthropologue, autrice de L’Esprit des mots : Explorations d’une anthropologue pour retrouver sens et cohérence », ​2nde édition, octobre 2022.

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« L’hygiène » est un des 22 mots décortiqué dans l’ouvrage L’Esprit des mots.

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