Je remercie sensemaking.fr, le journal qui met l’information en perspective, de promouvoir mon livre L’Esprit des mots.

L’interview initiale est publiée le 19 décembre 2019 ici.

Voici la transcription de l’article:

Audrey Chapot, anthropologue hybride, s’adresse aux particuliers et entreprises prêts à bousculer le prêt-à-penser et assainir leur rapport au monde, aux modes de vie et modalités de travail. Elle est diplômée en ethnologie, civilisation indienne et conseil en organisation.

Audrey Chapot, votre nouvel ouvrage « L’esprit des mots », pour retrouver du sens et changer la donne au quotidien. Pouvez-vous livrer des éléments de votre analyse ?

Le point de départ de mon analyse est de comprendre l’impact de nos croyances sur nos comportements individuels et collectifs. Comment et à quel point sommes-nous influencés, à notre insu? Ou, dit autrement: A quel point sommes-nous réellement libres de nous-mêmes et de nos décisions?
L’un des véhicules principaux de nos croyances, ce sont les mots que nous prononçons et entendons au quotidien. Ils envahissent nos vies par le son et par l’écrit. En se penchant sur leurs origines et l’évolution de leur utilisation au cours de l’histoire, nous nous rendons compte que beaucoup de mots sont appauvris et galvaudés, certains sont devenus comme des coquilles vidées de leur essence et perverties afin de servir une autre cause que leur raison d’être initiale.

Je me suis penchée sur une vingtaine de notions qui structurent toutes les sociétés humaines, indépendamment du lieu et de l’époque: des « valeurs sûres » de nos sociétés (sans que ce ne soit exhaustif). Et je me suis rendue compte que ces notions étaient bien plus instrumentalisées et travesties qu’il n’y parait. C’est en partie cela que j’ai souhaité mettre en évidence et partager.

Alors que les populations sont en manque de repères et à la recherche de nouveaux horizons,  quel est le pouvoir des mots pour faire évoluer cette situation ?

Tout d’abord, les mots donnent du sens (sensemaking!) . Ensuite, ils ont un pouvoir vibratoire créateur, un pouvoir sacré explicité dans les textes religieux et philosophiques par exemple. Il s’agit de la puissance du Verbe, de la puissance de la parole que l’on retrouve aussi dans les récits et dans les histoires. 
Les mots sont donc des outils qui nous permettent de penser, de comprendre, d’analyser, de ressentir aussi, et surtout d’aiguiser notre esprit critique. Les mots ont ce pouvoir de nous aider à ne plus être dupe de nos conditionnements, à délaisser ceux qui sont dépassés, pour devenir plus lucide sur nos choix de vie. Trouver les bons mots, les mots justes, permet d’être plus efficace pour valider et trouver de nouveaux repères.

Quel enjeu historique représente notre époque et en quoi son vocabulaire est-il spécifique ?

Nous sommes à une époque de changement de civilisation, de changement de paradigme, avec des choix radicaux à prendre sur nos manières de vivre et de penser. Ce n’est certes pas la première fois que l’humanité y est confrontée, mais une telle conjonction de phénomènes d’ampleur, entre un écocide planétaire et une digitalisation à outrance (pour ne citer que deux aspects parmi d’autres), montre bien une situation sans précédent.

Face à cela, et de manière très schématique, certains sont toujours dans le déni ou ne se sentent pas concernés par la fin de notre modèle du « toujours plus dans un monde aux ressources illimitées ». D’autres ont conscience des enjeux de notre époque, ils pensent et agissent pour faire autrement, pour inventer et expérimenter comment faire autrement. Parmi eux, il y a ceux qui ont confiance dans l’innovation technologique à tout prix (l’homme augmenté, le dataïsme pour reprendre l’expression de Yuval Harari), et ceux qui croient au progrès de l’éveil des consciences dans l’optique de reprendre « notre juste place » dans ce monde tant qu’il en est encore temps. 

Le vocabulaire que nous utilisons permet de structurer nos modes de pensée et d’illustrer ce que nous vivons. Le choix d’une nouvelle terminologie permet d’accentuer ce qui se joue en lui conférant une existence propre: le dataïsme que j’évoquais, l’anthropocène, la collapsologie en sont trois exemples. Au-delà de ces mots récents, notre vocabulaire usuel est un outil tout autant pragmatique et symbolique. Certaines situations nécessitent effectivement de créer un nouveau mot, d’autres situations se satisfont parfaitement d’un vocabulaire déjà existant, selon le cas à dépoussiérer ou à actualiser: cela participe à l’évolution de nos langues tout autant qu’à l’évolution de nos cultures.

Vous prônez « de réinvestir les mots pour se réinvestir soi-même» pourriez-vous développer cette approche   ?

Il est vraiment question de réhabiliter les mots, d’être au clair sur leur histoire et sur la fabrique de notre histoire. Réinvestir les mots, c’est être capable de prendre de la distance entre nous et ce qui nous nourrit; c’est redonner aux mots leur pouvoir et reprendre le notre. C’est différencier ce qui nous traverse et continue son chemin, de ce que nous choisissons de retenir. C’est un acte de responsabilisation.

Lorsque je parle de « se réinvestir soi-même », c’est justement cette intention de reprendre la main sur nos modes de pensée et nos actes, d’assoir nos choix et nos décisions. Il s’agit en réalité de nous dégager de ce qui est toxique, caduque ou encombrant pour assainir nos vies. Et les mots nous y aident.

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