Funambule, dis-moi: « Comment trouver l’équilibre, »

(mon fils Kostas Chapot)

Il y a de ces phrases qui font tilt.

Il y a de ces rencontres qui s’impriment spontanément dans notre mémoire.

Il y a quelques années, j’écoutais la radio en voiture, une émission dont l’invité était un funambule. Il expliquait sa vie, ce qui l’avait amené à devenir funambule, sa passion du cirque. Je ne me rappelle pas son nom, mais ce qu’il dit me reste en mémoire.

Je n’aime pas du tout le cirque, c’est un univers qui ne me parle pas et qui ne m’a jamais plu. Je n’apprécie pas les numéros avec les animaux, les clowns ne me font pas rire, Monsieur Loyal m’ennuie. Seuls les équilibristes et les contorsionnistes me captent, il y a chez eux une esthétique et une maitrise du corps qui me touchent.

J’écoutais donc d’une oreille distraite jusqu’à ce que la journaliste pose la question a priori banale face à un funambule :

« Comment faites-vous pour rester en équilibre sur un fil? »

Voici sa réponse telle qu’elle est gravée en moi : « Il n’est jamais question de garder l’équilibre ; je ne cherche pas à atteindre un point d’équilibre. C’est justement tout le contraire !

Je garde l’équilibre sur le fil car je joue entre des déséquilibres constants. Ce sont les déséquilibres maitrisés qui me permettent d’avancer sur le câble.

Si je cherche à être en équilibre, je tombe !

C’est le paradoxe apparent des funambules.

Le balancier que nous tenons parfois en main nous aide à amplifier les déséquilibres pour mieux rester sur le câble. D’ailleurs chaque traversée est unique car les conditions extérieures varient et la consistance du câble change aussi selon sa tension.

Nous donnons l’illusion de l’équilibre, mais il ne s’agit pas d’un état, ni d’une position statique. C’est un enchainement de mouvements.

Et la jubilation de la traversée ne me quitte pas, elle est toujours aussi vive, pas après pas sur ce câble d’acier.

Un bon funambule, c’est quelqu’un qui :

-sait provoquer les déséquilibres contraires pour avancer et qui

-sait se concentrer sur le point unique, le point d’arrivée, sans jamais se laisser distraire*. » (*sur ce sujet, voir aussi ici)

Et cela a fait tilt !

Nous sommes tous des funambules, sans forcément le savoir.

Nous sommes chacun comme des funambules sur notre câble. Et c’est l’enchainement de nos déséquilibres qui nous permet d’avancer et d’expérimenter ce que nous entreprenons, professionnellement et personnellement.

A chaque pas, à chaque déséquilibre, notre corps, notre tête, nos émotions… se rappellent comment contrebalancer cette perte d’équilibre pour donner l’élan nécessaire au pas suivant.

Voilà pourquoi les accompagnements lissés, formatés, les injonctions à atteindre une situation « idéalisée » ne me paraissent pas justes. Je ne crois pas dans ce genre d’équilibre artificiel, factice.

Je crois en une dynamique d’accompagnement (lorsqu’elle est nécessaire) qui soit unique pour chacun, qui lui colle à la peau, qui lui permette de reprendre l’élan nécessaire pour le pas suivant, qui lui permette de calmer sa respiration pour reprendre son souffle, de savoir où poser le regard pour le(s) pas suivant(s).

Je crois que (accompagnement ou pas) c’est ce qui permet d’apprendre à être à l’aise dans les déséquilibres continus, à faire corps avec les incertitudes extérieures, à nous relier à nous-même, quelles que soient les transitions de vie professionnelles, internationales et sociétales que nous traversons.

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